Financé par la foule… Retour sur l’article de Jean-Luc Eluard paru dans Le Mag Sud-ouest

 

Le financement participatif a la côte. Parfois présenté comme une alternative aux banques, il permet à des projets audacieux de voir le jour. A condition de savoir s’y prendre. Décryptage d’une tendance lourde.

Internet n’a rien inventé. La toile n’a toujours fait qu’adapter de vieilles recettes à sa formidable puissance de mise en réseau : c’est déjà à la philanthropie que Bartholdi a eu recours en 1857 pour financer sa Statue de la Liberté et un siècle plus tard, le cinéaste John Cassavetes tournait son premier long métrage grâce à un appel à la générosité lancé sur les ondes d’une radio. Le crowdfunding (ou financement participatif ), c’est pareil.

Mais différent car les structures du net permettent de démultiplier l’audience de l’appel et de simplifier la mise en œuvre des dons.C’est au milieu des années 2000 que nait Kickstarter aux Etats-Unis, aujourd’hui plateforme leader du crowdfunding dans le monde. Le concept fait un tabac dans un pays où l’héritage culturel protestant a toujours favorisé ces démarches de dons financiers très paternalistes. Il est d’autant plus surprenant que la France, pays miroir inversé du cousin US, ait très vite embrayé : MyMajorCompany nait en 2007, créée par Michael Goldman (le fils de Jean-Jacques). Le concept est légèrement différent : ici, on ne donne pas, on devient « multicoproducteur » d’un disque ou d’une œuvre artistique. Tous les mondes du financement participatif sont déjà là en germe.

Car désormais, on ne peut plus parler d’un crowdfunding mais de trois formes qui n’ont qu’un seul point commun : faire appel largement à de l’argent privé via des plateformes dédiées. A l’idéal presque alter-capitaliste des sites qui fonctionnent sur le principe du don auquel le porteur de projet répond le plus souvent par un contre-don, symbolique ou pas, font écho désormais des plateformes chargées de collecter des capitaux pour les entreprises sous forme d’actions. Entre les deux existent également des plateformes de prêts, soit entre particuliers soit aux entreprises, qui égrènent toutes les possibilités financières entre le prêt gratuit et celui, plus intéressé, qui rapporte au donneur des intérêts parfois conséquents. Tout une galaxie dans laquelle les motivations des donateurs sont diamétralement opposées.

 

Daniel Duhand, réalisateur dont la société de production a fait appel aux dons pour financer en partie son documentaire sur le naufrage du paquebot « Afrique » au large de La Rochelle, ne croit pas que « la boulangère de Niort va subitement se réveiller un matin en se demandant à qui elle va pouvoir donner ». Pour Lætitia Ball, chargée de production d’Eliocom qui a décidé de recourir à ce moyen pour trouver les 2 500 euros nécessaires pour payer une rallonge budgétaire imprévue « on a pu procéder comme ça parce que c’était une thématique très particulière, une démarche émotionnelle qui pouvait permettre de lancer un appel aux dons. Les personnes filmées étaient des descendantes des victimes du naufrage, elles étaient très impliquées et on pu faire jouer leur réseau » qui ont apporté leur écot. Pour elle, la démarche ne peut pas s’appliquer à tous les types de films. Jacques, gendarme girondin, fait partie de ces perles rares qui donnent sans connaître le porteur de projet, ni y avoir un intérêt direct : « J’ai découvert ça à la télé et je suis allé voir un site par curiosité. Depuis un an, je donne de temps à temps, à l’inspiration. La plupart du temps, c’est désintéressé, ce n’est pas le contre-don qui me motive. » Lui qui, de toute manière, « donne plus ou moins régulièrement à des associations » est « sensible à la manière dont le projet est présenté. » Jamais de grosses sommes mais il fait partie de ceux qui visitent régulièrement les plateformes pour chercher des causes qui l’inspirent.

 

Malgré tout, décrit comme un nouvel eldorado de la générosité publique, un monde nivelé où chacun a sa chance et peut trouver de bonnes âmes prêtes à lui venir en aide, le crowdfunding s’avère parfois aussi injuste que le financement par des banques ou les institutions publiques : à projet égal, celui qui maîtrise sa présentation, insère une ou deux vidéos bien léchées, qui sait écrire un texte alerte et dynamique et jouer sur les sentiments aura plus de chances que celui qui pond une présentation étique constellée de fautes d’orthographe. L’égalité de tous devant les financeurs est le miroir aux alouettes de l’égalitarisme financier : on est dans la com’ la plus brute avec ses codes et ses signaux. Certes, quelques belles histoires font le buzz : en 2012, Amanda Palmer, ex-chanteuse de Dresden Dolls, récolte 1,2 million de dollars alors qu’elle n’en demandait « que » 100 000. En France, Noob, série tendance geek, rafle 681 000 € en un mois pour 35 000 demandés, record d’Europe à battre. Mais à côté de ça, près de 50% des projets lancés échouent : faute d’avoir réuni la somme demandée, la plateforme rembourse intégralement les donateurs. Comme cette habitante de Toulenne (33) qui cherchait 3 000 € pour un camion sandwicherie et n’a levé que 3 €. Attirés par des contes contemporains comme l’histoire de ces étudiants lillois qui se sont fait payer leur lave-linge en crowdfunding, certains lancent des projets qui sentent trop le « je me fais plaisir » : tel cet angoumoisin qui sollicite 6 000 € pour un projet de tour du monde à la découverte des vins et spiritueux et n’a rien obtenu. Beaucoup encore, pour ne pas perdre le bénéfice des sommes engagées par les internautes, mettent la main à la poche en fin de collecte pour atteindre leur objectif à marche forcée.

 

Reste que dans tous les projets qui ont réussi, leurs initiateurs ont dû s’employer sur les réseaux sociaux pour rameuter leurs connaissances, condition sine-qua-non pour parvenir à ses fins. Thierry Anton, plombier rochelais champion du monde 2012 de Virtual Regatta, un jeu de voilier en ligne, a cherché 15 000 € pour passer au réel : acheter un voilier pour la mini-transat 2015. Avec à peine 10% de la somme réunie, il est loin du compte et « oui, je suis un peu déprimé. J’ai mobilisé tout mon réseau mais je connais peu de monde. Il n’y a pas eu d’effet dynamique. En fait, ça dépend aussi des contreparties et sur ce genre de projet, c’est difficile d’être original. » Pourtant, la part de rêve qu’il véhiculait aurait pu prendre :« J’ai eu des articles, je suis passé à la radio, mon projet était connu. Mais j’ai dû placer la barre trop haut, il faut que les choses soient en phase de finalisation : quand on a un euro, il y a moyen d’en faire deux mais quand on en a zéro, on n’en fait pas deux. »

 

Malgré tout, le principe du crowdfunding reste économiquement suffisamment alléchant pour que même la BPI s’y soit intéressée en lançant tousnosprojets.bpifrance.fr, site qui recense les projets de plus d’une vingtaine de plateformes répondant aux critères fixés par la banque. Si celles de dons y figurent en bonne place, c’est essentiellement les volets « prêts » et « financement » qui ont attiré son attention : « Le principe de notre action, c’est de faciliter l’accès aux financements pour les entreprises. Et toutes les sources sont essentielles. » souligne Vincent Dauffy, directeur du financement de la BPI. Qui note aussi une effervescence brouillonne avec une multiplication des plateformes : « Il y a en a 70 à 80 actuellement et il en nait presque une par semaine. C’est encore un eldorado au coût d’entrée peu élevé » Une situation qui ne devrait pas durer car il estime inévitable une concentration autour de quelques poids lourds plus « des naissances sur des niches très particulières. » Reste que la visibilité demeure faible car « on est en plein décollage. Forbes estime que le secteur atteindra les mille milliards de dollars en 2020. En France, il faut compter sur plusieurs centaines de millions. » Où l’Aquitaine tire son épingle du jeu, quatrième région française en nombre de projets. Les régions sont déjà sur le coup, qui créent leurs propres plateformes ou nouent des partenariats pour attirer ce mécénat qui joue beaucoup sur le local : « Ce qui cartonne dans les investissements, c’est l’environnement et le ‘près de chez moi’. Les plateformes de dons n’ont pas de problèmes pour attirer des contributeurs mais plutôt pour trouver de bons projets. Pour le prêt et le capital, c’est l’inverse. »

 

Autant dire que le projet de Laurent Aigon, starisé par Google, avait tout pour séduire Happy Capital qui en a fait sa figure de proue médiatique. Son projet de société de construction de simulateurs de vol fait partie des recalés des banques non pas par manque de perspectives mais « parce que je suis travailleur saisonnier, je n’ai que des contrats courts et je n’ai aucune garantie auprès des banques. » Celles-ci entreront en jeu ensuite, pour compléter, lorsqu’il aura réunit 30% du capital de son entreprises. Pour autant, malgré le buzz, sa levée de fond peine à décoller. Les investisseurs en capital ne réagissent pas au coup de cœur. L’économie réelle a ses règles. Le crowdfunding vient les titiller, surtout pas les bouleverser.

Jean-Luc Eluard – Le Mag Sud-ouest